Autour d’elle il n’y avait rien, hormis de l’eau à perte de vue. Glycerine ramait, inlassablement, sur l’étendue aqueuse et infinie. Elle était si fatiguée. Elle repensa à ses aventures récentes ; lasse et confuse, s’étira dans sa barque, chercha du regard un Prospero qu’elle savait déjà si loin d’elle. Et Thida ? Toujours Thida revenait à sa mémoire comme un souvenir lancinant et amer ; signe de sa faillite, de sa fuite, de son incapacité à se lier à quelqu’un. Elle s’éprenait de chimères qui s’évanouissaient au premier regard ; quant à nouer une relation durable avec un être de chair et d’os, cela n’arriverait peut-être jamais. Elle s’inclina vers l’eau, sans pour autant oser observer son reflet à peine ridé. Les vapeurs de Masquerade semblaient traîner dans son sillage, telle une mauvaise habitude, tel un mauvais goût en bouche qui persiste envers et contre tout. Erato ? Où était-elle ? Et ce parchemin, contre son coeur, pourquoi ? A quoi bon ? Elle était absolument seule.
Le vague à l’âme, l’adolescente songea à ses parents. Sentant son coeur se recroqueviller, elle balaya ses sentiments indicibles d’un revers de main tremblant. Plus tard, peut-être, elle réfléchirait à toutes ces choses grasses et impossibles qui s’entassaient dans sa poitrine ; pour le moment, elle dérivait.
La faim tenailla ses entrailles. Elle chercha dans sa besace de quoi se nourrir, trouva quelques biscuits secs et racornis qu’elle mâchonna sans hâte. Puis, elle but un peu de cette eau qui l’entraînait. Ses accents métalliques râpèrent sa langue rétive.
Elle laissa traîner sur ses lèvres la saveur d’un sourire – doux, mélancolique, malade mais témoignant d’une dernière flamme, d’une ultime volonté de résister. Elle lâcha les rames et pressa ses mains sur son crâne. Tout en ne parvenant pas à effacer le rictus douloureux qui s’insinuait sur son visage. Tassée sur elle-même, elle croisa les bras sur son ventre. Un frisson roula le long de son échine, le long de ses bras.
Et si elle plongeait ? Tout de suite ?
si seulement j’avais pu te
ne serait-ce
mais qu’est-ce que tu as fait comment as-tu pu
pourquoi
ils l’ont voulu je croyais que je
c’était une erreur une erreur maintenant que dois-je
je ne peux pas continuer comme cela je ne peux pas
sans toi sans rien sans
je ne peux rien
mais qui
qui
je ne peux rien
rien
et ce poison
et ce poison
pourquoi
et tu le sais n’est-ce pas tu le sais que
et qu’est-ce que je peux faire
qu’est-ce que je peux faire
ça ne pourra pas durer
je ne peux rien
et là toi loin moi
je ne peux pas
je voudrais tellement
tu ne peux pas
alors c’est
ça ne s’arrêtera jamais jamais
je ne peux rien
rien
oublier