11.

tu étais là tout du long n’est-ce pas
à me suivre et à me poursuivre

Allongée, tu savais que c’était sans fin
tu savais qu’il n’y avait pas d’issue

sur un lit froid, pourquoi elle se retourna, en prise à des sensations trop familières. Le cadavre d’une larme rendit sa tempe moite. Ses cheveux s’y collèrent. Une main chaude vint soudain les dégager. Glycerine frémit ; ses paupières gonflées battirent de l’aile pour se dépêtrer de leur engourdissement. Fixement, au-dessus d’elle, deux gemmes vertes brillaient. Deux tâches colorées dans un univers blanc. L’adolescente eut un haut-le-coeur. Le sourire rouge de Kah apparut. Il lui fit mal aux yeux.
– Ne bougez pas, vous êtes encore très faible, lui dit-il de sa voix onctueuse. Vous êtes personne jamais
et tu n’as pas su
il me brûle

Elle ne fit pas le moindre mouvement pour le contredire. Il lui caressa le front. Elle eut l’impression qu’il flattait un brave animal pathétique et blessé. Elle grimaça. Se lassa.
– Mirabeau…? murmura-t-elle, les yeux dans le vague, tristes.
Kah s’éloigna dans la pièce. Glycerine distingua du carrelage blanc, une grande fenêtre, un petit miroir aux allures d’oeil poché, près d’une porte noire. Le plafond légèrement voûté, à ce qui lui semblait, formait comme un couvercle.
– Et bien ? lança-t-il, presque despote, courroucé.
– Où est-il ?
– Il survivra.
Le vent fit claquer quelques feuilles craquelées contre un carreau de sa fenêtre. L’adolescente frissonna sous ses draps.
– Et moi ?
Un petit rire aigre l’agita malgré elle.
– Vais-je survivre ?
Kah haussa un sourcil ironique. Il ne répondit rien, malgré le silence angoissé de sa patiente.
– Qu’est-ce que je vais devenir ? articula-t-elle enfin du bout des dents.
– Je n’en sais foutre rien.
Il revint vers elle, elle se rétracta instinctivement. Il s’assit sur le matelas. Elle vit luire une fiole renversée, translucide, non loin d’elle. Un long tube nacré courait de son extrémité jusqu’à son bras percé, au niveau d’une veine bleutée, battante.
Kah prit la main de sa patiente – apparemment nourrie au fiel cristallin qui coulait gentiment.
– C’est malheureux, n’est-ce pas, murmura-t-il avec un sourire tendre.
Glycerine hésita.
– Oui, très, répondit-elle, plongeant amèrement dans ses grands yeux verts.
Sa paume ambrée était chaude et douce contre ses doigts grêles, tressautant parfois. c’était lui
tu l’as laissé faire
et je suis née rance

– Vous devriez me laisser, maintenant, glissa-t-elle entre deux mouvements avortés. Vous avez sûrement à faire.
– Tu sais je…
– Non, taisez-vous. Ca n’a pas d’importance.
Il soupira, l’air presque triste.
– C’est dommage.
Le visage de Glycerine se contracta violemment.
– Partez. Maintenant.
L’air de Kah devint plus vicieux. Il ricana.
– Ce n’était pas mon idée. C’était celle de tes parents. Tu l’as toujours su, n’est-ce pas ?
– Pardon ?
Il se leva.
– A ta naissance. Tu allais mourir. Ils voulaient te sauver coûte que coûte.
– Je ne comprends pas.
Il rit un peu moins fort.
– Un peu de lui vit en toi… Cela a marché. Un temps. Cela a créé certaines… complications… ce n’est pas comme ça que Tu m’entends ? Ou tu l’entends, lui ? il n’aurait pas dû
fais-le taire
maintenant que je sais j’ai envie de
Si je n’étais pas si lâche, je me le serais injecté à moi-même.
– … Partez. S’il vous plaît.
Il s’en alla. Elle se retrouva seule, l’impression d’être étranglée par des mains invisibles.