– Tu n’aurais pas dû te lever.
Glycerine se réveilla de nouveau allongée dans son lit. Kah veillait au-dessus d’elle. Ses yeux rieurs et verts laissaient couler leur lumière le long de sa joue creuse, à peine rose. L’adolescente tendit ses doigts et empoigna la chemise blanche du Réparateur, comme par réflexe.
Le tissu était doux. Kah s’inclina légèrement. Le bec courbe de son masque n’était plus qu’à quelques centimètres du nez de Glycerine. Elle se sentit nue et désarmée.
– Laissez-moi, chuchota-t-elle d’une voix éraillée.
Kah prit gentiment la main ferrée dans son vêtement, la délia délicatement, la reposa sur le matelas. Mais ne se redressa pas.
– Pauvre petite.
Glycerine grimaça de fureur et détourna les yeux.
– Arrêtez de vous foutre de moi !
L’homme eut un petit rire triste, recula. Glycerine se pencha violemment en avant, prit sa tête dans ses mains. je ne peux plus
il n’y a rien
sans avenir
je ne veux plus
– Pourquoi… pourquoi est-ce que vous m’avez fait ça ?
– Tu es née malade. Il n’y avait rien d’autre pour te sauver.
– Donc vous m’avez empoisonnée ?
Kah haussa les épaules.
– Quelle différence, poison, remède…?
– A quoi bon ? Je suis un… un…
Un sanglot sans larmes étrangla ses poumons. Elle cracha :
– Non je ne suis rien ! Je n’ai jamais demandé à… à être ! Là ! Et eux… Maintenant ils regrettent !
– Et toi ? Tu regrettes ?
Un petit sourire au coin des lèvres, il murmura :
– De vivre ? D’avoir vécu ? Cela te pèse ?
Il s’approcha d’un pas menaçant, lui empoigna le poignet.
– Tu veux mourir, maintenant ?
Glycerine trembla de tous ses membres. non
il ne faut pas
qui es-tu pour
tu n’es pas là
– Comment… Comment avez-vous réussi à… susurra l’adolescente en gémissant.
Kah se calma.
– Le Loup. Je ne sais pas quelle relation il entretient exactement avec lui. Mais le poison… remède… vient du Loup. C’est une chose bien curieuse qui coule dans tes veines à présent.
Bouffie d’amertume, Glycerine expira longuement. Le Réparateur pressa gentiment sa main chaude contre son front blême.
– Tu l’entends souvent ? il a soif
il ne peut rien
– Toujours…
Les yeux clairs de l’homme luirent d’avidité.
– Et que dit-il ?
L’adolescente ramena la couverture à elle. Elle soupira, s’ébouriffa les cheveux.
– Rien qui vous concerne…
– Evidemment. Mais que dit-il ?
– Je ne sais pas. Ce n’est pas lui qui parle c’est… c’est moi. Je crois. Je ne sais pas.
– Comment ? Je ne comprends pas.
– … Je ne comprends pas moi-même.
– Et comment te sens-tu ?
Elle toussa bruyamment.
– Je suis la seule ?
Kah la regarda sans comprendre. Les yeux emplis d’une tendresse morbide.
– A avoir reçu ce… traitement ?
– Que je sache, oui. L’expérience n’a pas été très concluante, nous ne l’avons pas réitérée.
Glycerine fit la moue.
– Désolé.
– Ah mais ce n’est pas… grave ! N’est-ce pas !
Elle réprima un rire tordu. Et poursuivit :
– Donc vous allez me laisser mourir ici ? Pourquoi pas un arbre dans le Jardin des Prisonniers ? Ou autre chose ?
– Je ne sais pas. Je réfléchis.
L’adolescente se renfrogna. Mais une question lui vint. Elle s’étendit, se répandit toute entière dans son esprit, jusqu’à devenir une obsession. Elle la sentit poindre au bout de sa langue, enflammer sa gorge et ses yeux. Son coeur battit plus vite, sa respiration devint plus coupante. Cependant l’âpreté de la déception quant à la réponse, d’avance, lui faisait mal.
– Et mes parents ?
Un long silence agonisa dans la chambre gentiment éclairée par une lumière froide et drue.
– Ma famille…?
Kah tourna les yeux vers elle. L’air navré. Elle eut un petit rire aigre.
– Ah. C’est rien. Laissez tomber. Vous réfléchissez ?
– Oui. Peut-être pourrais-tu être utile, après tout ?
– … Je ne veux pas être utile.
Le Réparateur éclata de rire.
– C’est bien là tout le problème !
Il leva les bras au ciel, secoua la tête.
– Ma pauvre petite.
Il partit vaquer à ses occupations, presque hilare.