11.

Elle n’y tint plus. Ennui, maladie, solitude, obscurité ; elle prit son parchemin et hoqueta toutes ses pensées d’un seul coup. Ses paupières papillonnèrent et des flots tumultueux, presque visqueux, se déversèrent sur ses joues. Elle renifla bruyamment, essuya son nez coulant du revers de sa main. Il lui semblait qu’elle ne savait plus comment faire. Ses gestes étaient maladroits, pénibles. La conscience de son corps déliquescent rendait tout élan difficile.
Elle pataugea longuement dans un marasme brumeux, avant de reprendre pied et de plonger ses doigts grêles dans la pâte scintillante qui roulait sur le papier. Un rêve doux et triste naquit finalement de ses grands yeux sombres, pour prendre ses aises sur la toile ocre et briller, vibrer, vriller ; tourmenté et aqueux, il était toujours plus difficile à déchiffrer, toujours plus douloureux à vaincre, à dompter. Elle haleta sans cesse pour ne pas cesser de croire que ses chimères étaient vivantes, elles. Les yeux et le faciès déchiré de Mirabeau jaillirent soudain dans les délires révélés. Glycerine eut beau les étouffer, les écraser pour ne pas les voir – ils bousculèrent cruellement sa mémoire. Et d’autres ombres perdues se profilèrent… Elle se refusa obstinément à les regarder… Dans son tableau fébrile et mouvant, des cris muets s’entrechoquèrent pêle-mêle. regarde je A bout de souffle elle sentit des vagues à l’âme bouillonner dans sa bouche. Ses yeux s’inclinèrent devant tant de frénésie et se sentirent brûler. Les mains trempées de sève ardente, elle s’essuya vaguement sur son lit, s’appuya sur un coude, plongea son visage dans son parchemin. Il n’y avait rien à boire. Elle eut l’impression de se noyer. Elle se redressa d’un coup, éructa violemment. Postillonna mille larmes assassines, tortueuses langueurs inachevées. Durant un bref instant, elle parut moins nue, elle était recouverte d’écailles. Sur sa peau coulait une sorte de pluie fine, écartelée et indécise. Et puis tout cela l’irrita au plus haut point, elle frotta son visage avec ses paumes, récolta ce qu’elle put pour tout enfouir dans sa toile. Un rire, une larme, le silence, elle voulut s’arracher les yeux, y renonça aussi vite. Elle toussa sur son parchemin, quelques pétales argentines ondulèrent dans l’air blanc de la chambre claire.
Soudain Kah entra. Il vacilla comme cela rien à faire ; un peu de sueur perla sur son front. Un spasme agita Glycerine ; elle souffla de plus belle, le songe vola en éclats. Certains se mêlèrent au souffle précipité du Réparateur ; l’homme manqua un pas, s’accrocha au matelas, s’écrasa contre le tissu blême, laissa échapper un râle hors de ses lèvres rouges. Son masque glissa un peu. L’adolescente s’en effraya, détourna les yeux. Kah se redressa et étouffa sa quinte de toux au creux de son poing. Ses yeux verts étaient veinés de sang. Il s’assit, se tassa un peu sur lui-même ; jeta un regard haineux à sa patiente terrée au fond de ses draps. Les yeux luisants d’inquiétude, la bouche humide d’angoisse, Glycerine attira le parchemin à elle et le froissa contre sa poitrine battante.